Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/352

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chevalet derrière lequel travaillait le véritable Gudin.

« M. Gudin, monsieur ?

— C’est moi, madame.

— Pardon, monsieur, je demande M. Théodore Gudin, le célèbre peintre de marine.

— C’est moi, madame.

— Vous !… monsieur, reprend la dame toute tremblante… C’est impossible ; il y a donc un autre M. Gudin ?

— Je ne le crois pas, madame, je ne connais personne de mon nom. »

A ce moment allait et venait dans l’atelier un domestique en livrée, qui semblait un peu embarrassé. Th. Gudin, se tournant vers lui, lui dit : « Joseph, mets donc une bûche au feu, madame à l’air d’avoir froid. » Le domestique ainsi interpellé ne se pressait pas d’apporter du bois, tournant le dos, détournant le visage.

« Ah çà ! paresseux, m’apporteras-tu du bois ? A qui en as-tu avec cette façon de marcher de côté comme une écrevisse. Arrive donc !… »

Le domestique, c’est-à-dire Eugène Sue déguisé en domestique, arrive, lui et sa livrée, jette maladroitement une bûche dans le feu, et en se relevant, se trouve face à face avec la baronne qui pousse un cri d’horreur en reconnaissant celui qu’elle avait traité comme le vrai Gudin. Vous voyez d’ici le coup de théâtre ! la contenance contrite d’Eugène Sue sous la livrée, la sortie furieuse de la dame et les formidables éclats de rire qui saluèrent son départ ! Mais le plus curieux de l’histoire, c’est que trois jours après, Eugène Sue rencontra