Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/363

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mais il s’occupait fort de ce qu’on y disait de lui. Savoir que M. de Chateaubriand avait prononcé son nom, lui était un vrai sujet de joie, et il recueillait non sans émotion les échos du salon de Mme Récamier qui arrivaient jusque chez Mme de Rauzan. Là il était fêté, vanté, patronné. Le premier exemplaire de toutes ses œuvres était toujours déposé sur la table de Mme de Rauzan, magnifiquement relié et orné de ses armes. Un tel patronnage lui ouvrit tous les salons du faubourg Saint-Germain. M. Molé l’appela son jeune ami, et cette entrée dans le monde de l’aristocratie renouvela son talent en renouvelant ses modèles. De cette époque datent ses trois grands ouvrages consacrés à la peinture de la société élégante : la Coucaratcha, la Vigie de Koatven et Mathilde. Il n’a rien écrit de plus brillant, de plus original, de plus audacieux que Crao de la Coucaratcha, que le premier volume de la Vigie, que le rôle d’Ursule dans Mathilde, et que ce charmant Marquis de Létorière, qui reste un chef-d’œuvre même aujourd’hui, quoiqu’il ait commis l’imprudence ce lui donner pour second titre, l’Art de plaire. Malheureusement son caractère n’y gagna pas autant que son talent. Les hommes d’imagination sont sujets à des explosions de défauts passagers, dont leur imagination même est la cause et l’excuse. Il ne faut pas juger les poètes comme les autres. Leur tête se monte plus facilement : tout ce qui brille les séduit. L’éclat du monde aristocratique éblouit Eugène Sue. Il s’affola de la qualité comme s’il était de qualité. Cet écrivain si modeste allia la vanité du noble de province à la vanité du dandy. Il ne tirait