Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/368

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reconnaît pour être à lui ; il lève la tête… tout son mobilier sautait par la fenêtre ! C’était Mlle X… qui le déménageait dans un accès de rage. Eh bien, il voulait l’épouser à toute force ! Enfin, à cinquante ans, il m’envoya un fascicule de vers, les premiers, je crois, qu’il ait jamais faits, consacrés à la glorification d’une femme plus célèbre encore que l’autre, et qu’il comparait à la Vierge Marie, quoiqu’elle n’eût vraiment par le moindre rapport avec le dogme de l’Immaculée Conception.

Tout en causant, mon compagnon de promenade et moi, nous étions arrivés à un petit banc blanc, bien connu des visiteurs de la fontaine Stanislas et situé dans un coin de forêt tout à fait charmant. Nous nous y assîmes et je dis à mon interloctueur :

« Je fais une remarque qui m’inquiète.

— Laquelle ?

— J’ai peur de vous avoir donné une idée défavorable d’Eugène Sue ; il me semble que je ne vous l’ai peint que par ses mauvais côtés. Je me fais l’effet d’un Caïn égorgeant son frère.

— Je pense bien, me répondit-il en riant que vous allez vous rattraper. Puis, vous m’avez révélé dans Eugène Sue une qualité que je ne lui connaissais pas et qui compense bien des défauts, la sincérité. Pas la moindre pose théâtrale ! Il en dit plus contre lui que n’en pourraient dire ses ennemis mêmes.

— Vous avez mis là le doigt, lui répondis-je, sur une des plus charmantes qualités d’Eugène Sue. Sa sincérité était absolue, en effet, et lui donnait quelque