Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/379

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disais-je quand il arrivait, pourquoi vous jetez-vous dans des difficultés pareilles ? ― Vous le savez bien, parce que je ne peux pas faire autrement. ― Mais je viens de lire votre damné feuilleton. C’est inextricable ! c’est inextricable ! ― Bah ! me répondit-il avec un sang-froid merveilleux ; voyons, raisonnons un peu. Supposez que ce soient des êtres réels et qu’ils se trouvent réellement dans cette position ; ils en sortiraient, n’est-ce pas ? Bien ou mal, mais ils en sortiraient. Eh bien, trouvons ce qu’ils feraient. » Et nous voilà causant, disputant, cherchant, lui plein d’imaginations de toute sorte et s’interrompant de temps en temps pour me dire : « Connaissez-vous rien de plus amusant que de jouer ainsi le rôle de la Providence, de la Fortune, de faire des heureux, des malheureux ; d’enrichir celui-ci, de ruiner celui-là ; de donner la femme qu’il aime à un pauvre jeune homme qui ne s’y attend pas ! C’est ce qui m’a fait créer le personnage de Rodolphe dans les Mystères de Paris ! Rodolphe est un romancier en action ; seulement j’ai deux avantages sur lui : d’abord j’ai droit de vie et de mort sur mes personnages ; puis je ne prévois pas plus qu’eux ce qui va leur arriver ! » C’est ainsi, qu’après deux ou trois heures de remuement d’idées et d’effervescence d’imagination, il partait tranquille, et ayant trouvé.

— Vous m’aviez promis une créature singulière, me dit mon interlocuteur, vous m’avez tenu parole. Seulement jusqu’ici je ne vois encore que le démocrate d’imagination. Mais où est le démocrate de conviction ? Il a changé de modèles, il peint des ouvrières après avoir