Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/389

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fée, où le prince n’arrive à épouser la princesse qu’après une série d’épreuves où plus d’une fois il a failli succomber.

Raconter ces épreuves et ces luttes, ce serait changer ces souvenirs en confidences ; et, selon moi, s’il est des voiles qu’il ne faut pas soulever, ce sont surtout ceux qui recouvrent nos joies intimes et saintes.

Je voudrais pourtant marquer d’un trait, le caractère particulier de cette dernière et vraiment providentielle influence.

Les amis dont j’ai parlé jusqu’ici, n’ont généralement agi que sur la formation de mon intelligence, sur la direction de mon esprit et de mes travaux. Elle, c’est le fond même de ma nature, c’est mon caractère, ce sont mes sentiments, ce sont mes principes, qu’elle a fortifiés, élevés, renouvelés. Le peu que je suis, le peu que je vaux, le peu de bien que j’ai tenté de faire, date d’elle, est parti d’elle ; mon être moral est son œuvre.

Son action ne s’exerçait ni par l’intervention directe, ni par l’ingérence préméditée, ni même par le conseil, non ! Elle agissait sur moi, comme la lumière agit sur les plantes et sur les êtres animés, par le simple rayonnement. Un de nos amis disait d’elle : C’est un beau piano toujours d’accord. On ne peut mieux rendre l’impression tout harmonieuse, j’oserais dire toute musicale, produite par cette rare et double beauté d’âme et de visage. Elle m’a fait comprendre l’admirable vers où Michel-Ange, dans ses tendres et austères sonnets, définit le regard de celle qu’il aime :

 
La luce
Che mi mostra la via, ch’ al Dio mi guide.