Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/407

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faire représenter, devant une nombreuse et élégante compagnie, une Attilie de sa façon en cinq actes et en vers.

Placé au parterre, confondu avec les spectateurs, il savourait avec grande satisfaction l’harmonie de ses hémistiches, quand son voisin, amené par une tierce personne et qui ne le connaissait pas, se pencha vers lui, et lui dit tout bas, confidentiellement : « Comprenez-vous, monsieur, qu’un homme de mérite rassemble tant d’honnêtes gens pour leur faire entendre une platitude pareille ?

— Pardon, monsieur, répondit mon grand-père, je suis l’auteur. » L’autre, tombant en confusion, et balbutiant, lui dit : « Oh ! monsieur, je me suis mal expliqué… je ne parlais pas de la pièce… elle est pleine de talent… Mais que pourrait devenir un chef-d’œuvre même, avec de tels interprètes ?… Connaissez-vous rien de plus comique que ce beau rôle d’Attilie, joué par cette jolie petite poupée ? ― C’est ma femme, monsieur. ― Ah ! ma foi, monsieur, reprit le voisin, c’est trop difficile à arranger, j’y renonce. » Sur quoi, mon grand-père éclatant de rire et lui tendant la main : « Monsieur, vous êtes un homme d’esprit… » Et à partir de ce jour, ils devinrent les meilleurs amis du monde. Eh bien, si j’ai toujours accepté gaiement les grands ou petits accrocs faits à mon amour-propre d’auteur, ma bonne humeur faisait certainement partie de mon héritage grand-paternel, et quant à ma passion pour le théâtre, si elle a occupé une telle place dans ma vie, c’est évidemment parce qu’elle a trois