Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/414

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et à attendre. Le soir, je monte me cacher au fond d’une avant-scène des troisièmes. Goubaux descend bravement sur le théâtre pour soutenir nos troupes. La première scène de confidence entre les deux jeunes gens fut bien accueillie. Encouragé par ce pronostic favorable, je descends dans les coulisses. Bardou était en scène. Quelques-uns de ses mots font rire, et il sort en nous disant : « Mes enfants, je tiens mon public ! » Au même moment, un petit bruit, strident, aigu, inconnu, m’entre dans l’oreille comme une vrille.

« Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Ça, me dit Goubaux, c’est un sifflet.

— Hein ! »

C’était le fameux rondeau de Brindeau ! Il avait chanté faux, et on le sifflait. Je remontai immédiatement dans ma troisième loge, je n’en redescendis plus. A partir de ce moment, les sifflets ne s’arrêtèrent pas. Je n’en ai jamais tant entendu de ma vie. Il y avait des dialogues entre le public et les acteurs. Un d’eux tenait un journal à la main : « Donnez-nous des nouvelles d’Espagne, » lui cria-t-on du parterre. Les trois filles de Goubaux, placées dans une loge découverte, riaient à gorge déployée. Je me sauvai lâchement au bout de vingt minutes. Goubaux était dans les coulisses, attendant les acteurs au sortir de chaque scène, les recevant dans ses bras comme des blessés qu’on rapporte du champ de bataille, en leur disant : « Ah, mes amis, mes pauvres amis ; comme nous vous demandons pardon de vous avoir donné un si mauvais rôle ! ― Je voudrais bien boire un peu, disait Bardou. ― C’est trop fin pour le