Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/433

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une signature qui la ruinait, il suivait fiévreusement les hésitations de Mme Dorval ; puis, quand elle prenait la plume, il s’écriait tout bas : « Elle signe ! » Or, qu’avait ajouté à ce mot, Frédérick ? un geste. Il prenait une prise de tabac ! Il rendait la scène tragique en l’encanaillant.

Mais la pièce où il porta ce talent jusqu’au sublime, c’est les Mystères de Paris. Eugène Sue avait demandé à Goubaux de l’aider à tirer un drame de son roman. Frédérick jouait Jacques Ferrand, le notaire, le notaire débauché, voleur et respecté dans tout le quartier comme un saint. Le second acte se passait dans l’étude. Un pauvre industriel ruiné venait implorer la pitié de Jacques Ferrand. L’étude était pleine, les clercs étaient à leurs pupitres. Jacques Ferrand devait donner au malheureux et brave solliciteur un billet de cinq cents francs. Les deux auteurs étaient fort contents de ce don si bien placé. Seul, Frédérick, dans le cours des répétitions, semblait inquiet, agité.

« Qu’avez-vous ? lui demanda Goubaux. Est-ce que ce trait de générosité hypocrite ne vous semble pas vrai et profond ?

— Pas assez hypocrite et pas assez profond, répondit-il brusquement. La bienfaisance de Jacques Ferrand ne lui coûte pas assez. Beau mérite de donner cinq cents francs quand on les a ! Les vrais saints empruntent pour donner. Je ne veux pas de votre billet de cinq cents francs.

— Mais alors, que ferons-nous et que ferez-vous ?

— Voici ce que je ferai. Quand le pauvre homme m’