Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/435

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et lui dit… avec quel accent, il fallait l’entendre ! « Et maintenant, je vais leur servir un plat de mon métier. »

On a souvent rapproché le nom de Frédérick de celui de Talma. Je demandai à Goubaux, qui avait beaucoup connu Talma, si c’était justice.

« Oui, me dit-il, car il n’y a qu’un même mot pour caractériser leur talent ; c’est le mot génie. Étaient-ils égaux ? Peut-être, à force d’être différents. Talma était le dieu de la tragédie et du drame ; Frédérick en était le démon. Quand Talma parlait de son art, il y avait dans sa physionomie un fond de mélancolie pensive et passionnée que sa myopie augmentait encore, et qui donnait à toutes ses paroles je ne sais quoi de poétique et de profond. On devinait, à chacune de ses observations, sa poursuite perpétuelle de l’idéal et de la réalité, de la justesse du ton et de la beauté du son. La musique du vers le préoccupait beaucoup. Un jour qu’il parlait à un ami, de ces deux vers d’Hamlet à sa mère :

 
Votre crime est horrible, exécrable, odieux,
Mais il n’est pas plus grand que la bonté des dieux !


« Oh, voilà deux vers, dit-il, que je suis bien sûr de ne jamais manquer ; je les ai notés. Le premier est une gamme montante, et le second une gamme descendante. »

Rien de pareil chez Frédérick ; et en combinant