Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/441

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ses anciennes bonnes actions. Le 10 juin 1855, voici la lettre que je reçus de lui :


Mon cher ami,

Il m’arrive un des ces bonheurs et une de ces joies comme ma vie en compte bien peu. La joie, c’est d’avoir vu un de mes élèves d’autrefois revenir sur un passé déjà bien éloigné et se reconnaître, vis-à-vis de moi, chargé d’une dette à laquelle je n’avais jamais pensé. Le bonheur, c’est de me trouver pour un an exempt de préoccupation et d’inquiétude. Cela ne m’était pas arrivé depuis 1820 ; oui, mon cher ami, Gilbert, établissant un calcul dont il ne pouvait trouver les éléments que dans la piété de ses souvenirs, car je n’avais jamais pensé qu’il me dût un sou, Gilbert m’a apporté hier six mille francs. C’est le premier usage qu’il a voulu faire de sa fortune nouvelle.

Quelque inespéré et efficace que me fût ce secours, j’ai été encore plus touché de l’action que de l’argent, et si j’ai eu un instant des larmes dans les yeux, c’est qu’en écoutant Gilbert, j’étais content de mon œuvre. J’ai hésité pour savoir si j’irais vous conter cela, mais j’ai craint d’être faible. Je suis plus sûr de moi en écrivant qu’en parlant.

Adieu, mon bon fidèle de 1837, mon fidèle du jour où j’ai entrepris ce que j’espère aujourd’hui d’achever. Je vous serre les mains, et j’embrasse votre femme et votre fille.

Goubaux.


Voilà, certes, une lettre bien touchante. Il y manque pourtant un post-scriptum. Le nom de Gilbert en appelle un autre, celui d’Alexandre Dumas fils. Dumas avait été aussi l’élève de Goubaux un peu avant Gilbert.