Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/454

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salon. De mon côté, je déclarai tout haut aussi, que nous partions pour huit jours. Et une fois les fenêtres sur la cour fermées, nous voici cloîtrés tous les trois, Goubaux, moi et ma femme, et notre vie de cellule commence. A sept heures du matin, nous entrions tous deux dans mon cabinet, où nous trouvions le feu allumé, le thé servi, et la maîtresse de la maison, jouant pour nous le rôle de Lolotte dans Werther : elle faisait des tartines. Un quart d’heure de bons rires, d’amicale causerie, puis, nous nous mettions à la besogne. Assis à la même table, en face l’un de l’autre, nous avions l’air de deux écoliers qui composent. Cela nous charmait. Mais voici le côté singulier de notre collaboration : nous abordâmes tous deux, au même moment, le même acte. Partant du plan convenu, nous commençâmes tous deux par la première scène, et nous écrivîmes ainsi le premier acte, chacun de nous se chargeant d’apporter dans le dialogue, dans la peinture des caractères, ses qualités personnelles d’imagination ou de pensée. A midi, nous déjeunions tous les trois, je devrais dire tous les quatre, car ma fille, qui avait quelque chose comme deux ans, faisait alors son apparition, et ses yeux étonnés, ses bonnes joues roses, sa toilette, où triomphaient le goût et la coquetterie maternelle, sa gravité sur sa petite chaise haute, l’amusant de ses réponses (les enfants ont un tel imprévu d’idées, qu’ils ont tous l’air d’avoir de l’esprit) étaient un des plaisirs du déjeuner. Du reste, défense absolue de parler de notre travail. Ce qui n’empêchait pas ma femme de remarquer en riant, la mine soucieuse ou radieuse de