Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/464

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de son cheval, il ne disait pas un mot. Son silence était si morne, qu’il était contagieux ; il pesait sur nous. Nous pouvions à peine échanger nous-mêmes quelques paroles, tant nous étions saisis par cette sombre image du désespoir et par l’attente de quelque tragique et mystérieuse catastrophe.

Une lettre qu’il reçut pendant son séjour le troubla beaucoup. Sa sœur habitait le rez-de-chaussée avec jardin, d’un petit hôtel, dans le quartier du Temple. Un jour, elle écrivit à son frère qu’une jeune dame charmante s’était présentée comme locataire du premier, qu’à ce propos elle était entrée en relations avec elle et les enfants, qu’elle les avait comblés tous deux de caresses, qu’elle les embrassait avec grand attendrissement ; « elle leur a même, ajoutait-elle, apporté de légers cadeaux, offerts avec tant de délicatesse, qu’il a été impossible de les refuser, tant son émotion ressemblait à un souvenir. » C’était la malheureuse femme qui, affolée de douleur par le départ de celui qu’elle aimait, s’était mise à roder autour de cet hôtel pour voir entrer et sortir les deux petits enfants, pour se rapprocher d’eux, se faire un peu aimer d’eux, dans l’espoir qu’il l’apprendrait par sa sœur, et qu’il en serait touché.

Nous quittâmes Dieppe ensemble : lui, pour revenir à Paris ; nous, pour retourner dans notre petite maison de campagne. Un mois après, j’appris de sa bouche tout ce que je prévoyais. Ils s’étaient revus, ils s’étaient aimés ; le mari l’avait su, et, à la suite d’une scène d’explications, M. Leroux s’était mis à sa disposition pour un duel à mort. ― « Je ne me battrai pas,