Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/47

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Limbes, les Adieux à la Madeleine. A. de Musset citait toujours avec admiration ces vers d’une Messénienne :

 
Eurotas ! Eurotas ! Que font tes lauriers-roses
Sur ton rivage en deuil par la mort habité ?
Est-ce pour insulter à ta captivité
Que ces nobles fleurs sont écloses ?

Pour moi, je l’avoue, je ne puis parler froidement de Casimir Delavigne, tant son nom se lie pour moi aux plus chers souvenirs de ma jeunesse, tant l’âme et le talent, l’homme et le poète, formaient en lui un rare assemblage. C’était vraiment une nature exquise. La simplicité va bien avec la gloire. Casimir Delavigne était plus que simple, il était ingénu, ingenuus selon le beau mot latin. Il avait la grâce candide de l’adolescence. Regard, sourire, physionomie, tout en lui était lumière ! Sa vie était patriarcale. Son père, sa mère, sa sœur, les enfants de sa sœur, un de ses frères, tout cela demeurait sous le même toit que lui ; je pourrais dire sous son toit, car son travail comptait pour beaucoup dans la fortune de la communauté. Seulement, comme son enfance avait été délicate, comme sa santé était toujours faible, comme son corps frêle avait toujours réclamé beaucoup de soins, il était resté l’enfant de cette maison dont il était le soutien. Figurez-vous quelque chose comme Benjamin et Joseph, Joseph en Égypte, ne faisant qu’un. Il n’entendait rien à la pratique de la vie. Je le vois encore un jour sur la place de la Bourse, fort éperdu au milieu de