Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/485

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avaient de grand. Mais le goût dans Sophocle, dans Virgile, dans Mozart, dans Raphaël, dans Racine, dans La Fontaine, est un des éléments du génie. Chez Mlle Mars, il se traduisait par un accord délicieux entre sa voix, sa physionomie et ses gestes. Il est vrai qu’elle avait eu pour maîtresse Mlle Contat, la reine de toutes les élégances.

Mlle Mars, dans ses débuts, multipliait fort les mouvements du bras gauche, ce qui indignait Mlle Contat.

« Le bras gauche est toujours gauche, lui disait-elle. Il ne faut s’en servir que par exception. Du reste, je saurai bien mettre le tien à la raison. Tu joues demain le Dissipateur, et dans la scène du quatrième acte, où je suis fort contente de toi du reste, ton misérable bras gauche se démène comme une aile de moulin à vent. Eh bien, je vais t’attacher un fil noir à la patte, je tiendrai le fil, je serai dans la coulisse, du côté où tu joues la scène… et au premier geste, je tire. »

La scène commence, Mlle Mars au second couplet essaye un petit mouvement de révolte,… le fil tire. Tout rentre dans l’ordre. La scène s’anime, la jeune actrice aussi, et à un vers de sentiment, le bras gauche s’agite et va pour se lancer,… le fil tire. La scène continue, devient touchante, de touchante devient pathétique, le pauvre bras gauche veut se mettre de la partie, le fil le ramène en arrière… Il proteste,… le fil aussi ; de telle façon qu’après quelques instants de lutte, Mlle Mars, sous le coup de son émotion grandissante, lève si vivement les deux mains que le fil casse, et voilà le bras gauche gesticulant en l’air tout à son aise ! La scène