Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/489

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mais le regard, l’expression, s’adoucissent, le sourire éclôt sur cette bouche toute pleine d’invectives, si bien qu’à la dernière phrase, le langage était toujours celui d’une furie, mais le visage était celui d’un ange. Qu’était-il donc arrivé ? Que tout en parlant, elle avait entendu les répliques des acteurs, qu’elle avait compris que le moment de son entrée en scène approchait… et comme cette entrée devait être gracieuse et aimable, elle s’y était préparée au milieu de sa colère, tout en causant ; elle avait changé de physionomie comme elle changeait de costume en changeant de rôle.

Le soir de la première représentation, avant le lever de rideau, je la trouvai un peu plus agitée que ne le sont d’ordinaire les grands artistes un jour de combat ; ils se sentent dans leur élément dans ces moments-là, comme un grand capitaine au feu, elle s’approcha de moi et me dit : « Vous saurez demain le mérite que j’ai à jouer ce soir comme je jouerai, car je jouerai très bien. » J’appris en effet le lendemain qu’en rentrant chez elle à cinq heures, elle avait trouvé toute sa maison en émoi. On lui avait volé, dans l’après-midi, soixante mille francs de diamants.

Toute la représentation ne fut pour elle qu’un long triomphe, et le succès de la pièce fut considérable. Le chiffre de la recette s’éleva le 23 août, jour de la vingt-cinquième représentation, à cinq mille six cents francs, chiffre énorme dans ce temps-là. Mlle Mars partit en congé et devait rentrer le premier octobre. Elle ne rentra pas ; elle ne reparut sur le théâtre que six mois après : elle ne rejoua plus Louise de Lignerolles qu’au bout de