Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/500

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chefs-d’œuvre de Haendel au Conservatoire. Pourquoi ? Pour fonder un commencement de bibliothèque dans une colonie, un commencement de musée dans l’autre, pour fournir un sujet d’étude aux artistes, sacrifiant ses goûts les plus chers au désir d’être utile, et portant ainsi dans la passion si souvent égoïste du collectionneur, cet oubli de soi, et ce dévouement aux autres qui fait l’honneur de son rôle d’abolitionniste.

Je ne prendrai que trois faits pour caractériser ce rôle. Schœlcher, encore jeune homme, fut admis dans la société pour l’abolition, qui comptait parmi ses membres les noms les plus illustres, Lamartine, M. de Broglie, Arago. Un jour, arrive à la séance une masse énorme de documents très intéressants, très importants, mais dont le volume effraya tous les membres présents. « Il y a là, dit le Président, du travail pour plusieurs mois, et pour plusieurs travailleurs. Il faut prendre des auxiliaires. ― Pourquoi ? dit Schœlcher avec tranquillité, je puis faire cette besogne, tout seul. » On accepta avec une reconnaissance, mêlée d’un peu de doute. Un mois après, Schœlcher reparaissait devant le comité, ayant tout lu, tout compulsé, tout élucidé, prêt à lire son rapport. Ce fut un mouvement unanime de surprise, et d’admiration. Lamartine, se levant, alla à lui, et lui tendant la main… « Monsieur, lui dit-il, nous ne vous remercions pas, Dieu seul peut récompenser de tels dévouements. ― Dieu ? Monsieur, répondit froidement Schœlcher, je n’y crois pas. »

A la sympathie succéda aussitôt un sentiment de malaise, et de désapprobation. Lamartine ne retira pas sa