Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/504

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traversa la rue Vivienne où je passais, et venant à moi, me dit ces paroles textuelles : « Vous êtes lié avec M. Schœlcher, eh bien, dites-lui qu’il faut prononcer l’abolition immédiatement, sans réserve, sans un jour de retard ; sinon, les colonies seront mises à feu et à sang. »

Malheureusement tout le parti n’eut pas cet esprit d’équité. Les attaques les plus violentes se multiplièrent contre Schœlcher. Un jour même, parut, signée d’un représentant comme lui, une brochure si agressive qu’un duel s’ensuivit. Schœlcher y montra ce que sa politesse a de formaliste, et son courage, de chevaleresque. L’arme choisie fut le pistolet à vingt-cinq pas ; le lieu de rencontre, Madrid au Bois de Boulogne. Sur le terrain, on s’en rapporta au sort pour décider qui tirerait le premier. Le sort favorisa Schœlcher. On lui remit l’arme. Mais au moment de viser son adversaire, il se souvint sans doute de Fontenoy, et soulevant son chapeau, fit un salut à son ennemi. Cette petite cérémonie donna juste le temps aux gendarmes d’arriver, de confisquer les armes, d’arrêter le combat, et de renvoyer les deux combattants à la séance de la Chambre. Un nouveau rendez-vous fut pris pour l’après-midi, à trois heures, au bois de Vincennes. A l’arrivée sur le terrain, il se produisit un incident bien caractéristique. Les deux adversaires demandèrent, en même temps, que le tirage au sort du matin ne comptât pas. « Vous vous f… de nous avec vos façons d’anciens preux ! s’écria le témoin de Schœlcher, le colonel Charras. Le tirage de ce matin compte, puisqu’il n’a pas eu son effet. » Les deux adversaires prirent leurs places ; M P… s’effaça le