Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/505

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plus qu’il pouvait, et selon l’usage, tint son pistolet droit contra sa tempe. La balle de Schœlcher lui enleva un bout du parement de sa manche, un bout de son collet, et se perdit on ne sut pas où. C’était au tour de Schœlcher de supporter le feu. Il se retourna, se mit de face et croisant ses deux bras sur sa poitrine, regarda tranquillement son adversaire. « Diable ! dit tout bas à Charras le général Regnault de Saint-Jean d’Angely, témoin de M. P… C’est un bon b… » La balle n’atteignit pas Schœlcher, mais le général déclara qu’un coup ayant porté, les conditions du combat étaient remplies. On se sépare. M. P… avait pris, le matin, sur le conseil d’un de ses amis, la précaution fort sage de s’envelopper le cou d’une large et longue cravate de soie molle. Rentré chez lui, il ôte sa cravate, et la balle de Schœlcher tombe à ses pieds. Un peu effrayé, il regarde son cou, et il voit une forte contusion à ce qu’on appelle la pomme d’Adam. Sa cravate l’avait sauvé. Le lendemain, Schœlcher, toujours courtois, envoya prendre de ses nouvelles. M. P… ne répondit que par sa carte. Jamais les passions créoles ne désarmèrent devant le signataire du décret d’abolition.


II

Schœlcher a eu dans sa vie deux objets d’ardente passion : l’émancipation des esclaves et la République.