Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/506

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Je l’appelle en riant, un républicain de droit divin. Son opinion politique, en effet, n’est pas un principe, c’est un dogme. Il ne lui suffit pas que la France soit glorieuse, riche, heureuse, il la lui faut républicaine. Toute autre forme de gouvernement lui semble une usurpation. C’est un ultra. Il vota cependant pour le retour de Louis-Napoléon, par horreur pour l’exil. Mais le jour où le Prince Président prêta serment de fidélité à la République, il me dit, tout songeur : « Mon cher ami, je crois que nous avons commis une faute. La tribune fait toujours peur la première fois qu’on y monte ; or, quand, avec son accent tudesque, il nous a lu sa profession de foi… je le regardais bien avec ma lorgnette, son papier n’a pas tremblé dans sa main. Nous n’aurons pas aussi bon marché de cet homme-là que nous le croyons. »

On sait sa conduite le jour du coup d’État. Il courut au faubourg Saint-Antoine pour engager les ouvriers à se soulever. « Pour qui ? lui répondirent-ils, pour l’Assemblée ? Elle nous a enlevé le suffrage universel. Contre le Président ? Il nous l’a rendu. Nous ne bougerons pas. » A ce moment arrivent les troupes. Schœlcher se place au plein milieu de la chaussée, les bras croisés, comme devant le pistolet de M. P…, et revêtu de son écharpe de représentant. Les troupes approchent par pelotons. Le premier peloton était commandé par un sous-lieutenant. Schœlcher va à lui, lui montre son écharpe, et d’une voix toute vibrante d’émotion, il le supplie, pour son propre