Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/509

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qu’on poursuit, comme si c’était possible !… Mais où veux-tu que je le couche ? Je n’ai que trois lits : le mien, le tien, et celui de la bonne. ― Oh ! madame, repris-je, il passera très bien la nuit sur un fauteuil. ― Sur un fauteuil ! Sur un fauteuil ! Un homme qu’on pourchasse depuis ce matin. Il doit être épuisé, cet homme. Car on m’a dit… reprend-elle avec un mouvement de colère, qu’il s’est battu au faubourg Saint-Antoine. Oh ! le scélérat : » Puis, tout en maugréant : « Il faut cependant le coucher. On lui fera un lit dans le salon. J’ai trois matelas. Je peux bien lui en donner un. ― Non ! maman, c’est moi. ― Tu lui en donneras un aussi, il lui faut bien deux matelas, à cet homme… Oh ! bon Dieu ! Qu’est-ce qui m’aurait dit que je ferais un lit pour ce Schœlcher !… Enfin, puisque nous y sommes. Marie, avez-vous du bouillon ? ― Oui, Madame. ― Eh bien, vous ferez un potage à dix heures, pour un monsieur… qui… enfin ! Vous ferez un potage ! » Et la voilà qui ordonne le souper, qui commence son déménagement, grommelant, interpellant son fils, aidant sa bonne, et refaisant sans s’en douter, la charmante scène de la Case de l’oncle Tom, où un sénateur cache le soir celui qu’il avait condamné le matin.

Je cours porter cette bonne nouvelle chez moi. A huit heures et demie, nous arrivons chez Mme L…, qui nous reçut à merveille ; mais, à dix heures et demie, il fallut partir, la police était à nos trousses. Nous voilà donc, Schœlcher et moi, dans la rue, en pleine nuit, sans savoir où aller. L’idée me vient de l’emmener