Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/526

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Nourrit. Cette simple énumération vaut tous les éloges. La variété de génie de ces divers chefs-d’œuvre, montre la variété de talent de l’interprète. Représenter tour à tour un chevalier dans Robert, un paysan dans le Philtre, un jeune seigneur dans le Comte Ory, un pêcheur dans Mazaniello, un père dans la Juive, un fils dans Guillaume Tell, un amoureux passionné dans les Huguenots, un Dieu dans le Dieu et la Bayadère, et partout, que le personnage fût tragique ou comique, que la musique fût légère ou puissante, s’y montrer égal à l’œuvre et égal à soi-même, c’est presque élever le rôle d’interprète au rôle de créateur.

Le père de Nourrit tenait encore l’emploi de premier ténor à l’Opéra quand son fils y débuta ; ils jouèrent même ensemble un petit acte imité des Ménechmes, les Deux Salem, et leur ressemblance ajouta le piquant de l’illusion à l’agrément de l’ouvrage. Le débutant apportait au théâtre tous les dons qui s’acquièrent et tous ceux qui ne s’acquièrent pas. Élève de Garcia et de son père, il avait une voix très élevée, très brillante, avec, çà et là, de singulières sonorités d’instruments à vent, un mélange de flûte et de clarinette. Quant à sa personne, il semblait né jeune premier. Une jolie taille, une figure fine et expressive, une forêt de cheveux noirs et naturellement bouclés, des yeux bleus à fleur de tête, tout rayonnants de sympathie, un nez légèrement recourbé, se penchant vers un menton légèrement relevé, quelque chose du profil de Rossini. Ses joues étaient peut-être un peu bouffies, son corps un peu rond, un peu gras, mais sa vivacité d’allure, sa