Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/528

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qui voulut présenter Schubert au grand public. Il traduisit lui-même la Jeune Religieuse, et les vieux habitués des concerts du Conservatoire se rappellent encore l’effet prodigieux de ce morceau, chanté entre une symphonie de Beethoven et une ouverture de Weber. Nourrit trouva pour exprimer l’extase de la jeune fille, des accents d’une telle pureté qu’ils semblaient descendre du ciel et y remonter. Ce jour-là, Schubert passa en un instant, à Paris, de la réputation à la gloire.

Quelque temps après, Liszt demanda à Nourrit de chanter la Jeune Religieuse, aux concerts organisés par lui dans la salle Érard et consacrés à Beethoven. « Un chef-d’œuvre de Schubert ? Oui, lui répondit Nourrit, mais celui-là, non ! Il en faut un nouveau. ― Vous en avez un ? ― Oui. J’ai même mon traducteur. ― Vous ? ― Non. Un de mes amis. ― Qui donc ? ― Legouvé. » Il m’apporta en effet une mélodie de Schubert en me priant de la lui traduire. J’accepte. Je savais encore un peu d’allemand à cette époque. Je lis les vers… Impossible de les comprendre. Je les porte à Urhan. ― Ces vers sont admirables, dit Urhan. ― Traduisez-les-moi ? ― Impossible ! C’est trop génial. Il vous faut un véritable littérateur, versé à la fois dans la poésie allemande et la poésie française, allez trouver M. Friedlander. » Je vais chez M. Friedlander. Mêmes exclamations. « Vers admirables ! ― Traduisez-les-moi ? ― Impossible. Cette poésie est un fruit du sol. Il y a des fleurs qui ne se transplantent pas. » Que faire ? Je dis alors à ma femme : « Jouez-moi le chant de ce lied sur le piano. » Elle me le joue. Je l’écoute, les