Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/530

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de cet abîme, remontant par la prière à la résignation, à l’acceptation, à l’adoration, à l’extase, à l’ivresse enfin du martyre. Je rêve quelque chose comme les stances de Polyeucte. Voulez-vous me faire cela ? Je veux bien essayer, du moins. Mais le musicien ? ― J’ai notre affaire. Un jeune homme encore inconnu, mais qui, je vous en réponds, fera son chemin, un élève de l’École de Rome, M. Amboise Thomas. ― J’accepte. » Dès le lendemain j’étais à l’œuvre. Quelques jours après je remets mes vers à Nourrit. Ils lui plaisent, il les envoie à M. A. Thomas. A. Thomas compose la musique, Nourrit me la montre, me la chante. Elle me paraît très pathétique… et puis… et puis, Nourrit à quelque temps de là partit pour l’Italie, avec notre cantate, mais comme il n’en revint pas, et comme A. Thomas n’avait pas plus gardé le manuscrit de sa musique que moi celui de mes vers, notre cantate disparut avec son interprète. Il a été impossible de la retrouver. Il ne m’en reste que le souvenir de cette sympathie qui portait Nourrit vers tout ce qui, connu, inconnu ou méconnu, s’appelle talent ou génie.

Si jamais homme offrit la complète et parfaite image du bonheur sur cette terre, ce fut Nourrit, à ce moment. Il avait tout ce qu’on peut rêver. Une femme