Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/532

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Duprez à Paris, et son engagement à l’Opéra. Nourrit restait pourtant maître de la situation. Son traité liait encore les directeurs vis-à-vis de lui pendant deux ans. Pendant deux ans, nul ne pouvait débuter, sans son autorisation, dans aucun de ses rôles, et il tenait tous les grands rôles ; force fut donc aux directeurs de venir le prier, non sans quelque embarras, de se relâcher de la rigueur de ses droits, et d’ouvrir l’Opéra à celui que, sans le prévenir, ils avaient appelé, pour le remplacer. La vengeance était, pour Nourrit, bien facile et bien tentante. Il n’avait simplement qu’à dire non. Mais Nourrit, dans les questions de théâtre comme dans toutes les autres, était non seulement correct, mais délicat, non seulement délicat, mais chevaleresque. Il prit plaisir à répondre à un manque d’égards, par un excès de générosité. Au premier mot des directeurs, il les interrompit pour leur dire : « Tous mes rôles sont à Duprez. Qu’il choisisse pour ses débuts celui qu’il voudra. Le partage avec lui est un honneur pour moi. » Comment reconnut-on cette courtoisie ? Il faut encore revenir à La Fontaine, à la fable de La lice et sa compagne :

 
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.


L’ingratitude proverbiale de tout ce qui s’appelle directeurs, l’impatience fébrile de tout ce qui s’appelle débutant, l’inconstance de tout ce qui s’appelle public, changèrent bientôt en antagonisme et en tiraillements pénibles, cette délimitation de frontières. Dans la presse, on opposa Duprez à Nourrit, même avant les