Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/542

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grands cris, et il rentra à son hôtel, un peu calmé. Le lendemain matin, ses deux amis arrivent chez lui. Très pâle, il va à eux, la main tendue : « Comment avez-vous passé la nuit ? lui dirent-ils. ― Bien mal. Je n’ai pas dormi et j’ai beaucoup pleuré. Dans ce moment même, je fais appel à toutes mes forces morales pour combattre de funestes pensées. Cette nuit, assis à cette place, j’ai demandé à Dieu le courage dont j’ai besoin. Je me suis fortifié par de saintes lectures. Tenez, voyez vous-mêmes, » ajouta-t-il en leur désignant un livre ouvert sur la table : c’était l’Imitation de Jésus-Christ.

Voilà sous l’empire de quelle crise il était revenu à Paris. Heureusement, il appartenait à cette race d’artistes élastiques qui déconcertent toutes les prévisions de la science par leur faculté de rebondissement. Quelques semaines de repos, de soins, de joies de famille, le rétablirent comme par enchantement. Sa voix lui revint aussi pure qu’autrefois ; et il forma alors un projet digne de lui.

Duprez l’avait remplacé en France ; il résolut de remplacer Duprez en Italie, et même d’y faire revivre Rubini. Son espoir n’avait rien de chimérique. Il arrivait, précédé d’une réputation immense de chanteur et de comédien… On l’appelait le Talma de la musique. Il parti donc, plein de joie, quoique seul. Son premier sentiment, à Turin, à Gênes, à Florence, fut un sentiment de surprise et de déception. Il se trouva en face d’une révolution complète dans l’art du chant. Rossini était détrôné ! Rubini oublié ! et avec eux avait disparu la belle école des grands ténors italiens ! Plus de vocalises !