Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/544

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aller prendre ma leçon. Oh ! Donizetti ne me passe rien, et je l’en remercie. Si un ami arrive chez lui, pendant que je chante, je n’y mets pas d’amour-propre, et je continue à chanter. Je continue à recevoir les coups de férule du maître, qui ne se gêne pas pour m’en donner de rudes devant témoin ! »

Après quelques mois de ce bel apprentissage, Nourrit arriva à Naples, où Duprez avait brillé si longtemps, et contracta un engagement avec le célèbre impresario Barbaja. « Je suis beaucoup moins payé qu’à Paris, écrit-il avec une vaillance un peu fébrile ; mais, en Italie, je vais dépenser la moitié moins de ce que je dépense en France. Ici, tout ce qui est nécessaire aux besoins de la vie, est à bon marché. Je vais vivre en bohème, sans maison, sans société !… Tous ces bonheurs dont je jouissais avec tant d’ivresse, avais-je fait grand’chose pour les mériter ? Non, vraiment. Il est donc juste que je les paye maintenant, et je dis encore merci à la Providence ! » Quelle exquise humilité ! quelle délicatesse de conscience ! Son traité avec Barbaja portait qu’il aurait le choix de ses rôles de début. Il choisit, pour le premier, Guillaume Tell. Mais le roi Bomba régnait alors à Naples. Nourrit était noté comme carbonaro ; il avait chanté la Marseillaise à Paris. A peine le nom de Guillaume Tell prononcé : « Une pièce l’on apothéose la rébellion ! s’écrie la Censure, jamais ! » Il offre Robert : « Une pièce l’on se moque du diable !… jamais ! » Il offre les Huguenots : « Une pièce l’on accuse le catholicisme !… jamais ! » Il offre la Juive : « Une pièce dont le héros est un Juif !… jamais ! » Il offre la Muette : «