Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/556

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à la recherche d’une médecine nouvelle, et construisit de toutes pièces ce système médical, dont l’amour paternel avait été comme le fondement. Voilà l’homme. Tel il fut alors, tel il était toujours. La forte structure de son visage, ses mâchoires carrées, la palpitation presque continue de ses narines, le frémissement de ses coins de bouche, abaissés par l’âge ; tout en lui respirait la conviction, la passion, l’aurorité. Son langage était original comme sa personne. « Pourquoi, lui disais-je un jour, prescrivez-vous, même en santé, l’usage permanent de l’eau ? ― A quoi bon quand on est ingambe, me répondit-il, les béquilles du vin ? » C’est encore dans sa bouche que j’ai entendu ce mot étrange si on le prenait dans le sens absolu, mais bien profond pour qui le comprend : « Il n’y a pas de maladies, il y a des malades. » Sa foi religieuse n’était pas moins vive que sa foi médicale. J’en eus deux preuves frappantes. Un jour de printemps, j’arrivai chez lui, en lui disant : « Oh ! monsieur Hahnemann, comme il fait beau aujourd’hui ! ― Il fait toujours beau, » me répondit-il, d’une voix calme et grave. Comme Marc-Aurèle, il vivait au sein de l’harmonie générale. Ma fille guérie, je lui montrai le délicieux dessin d’Amaury Duval. Il contempla longtemps et avec émotion cette image qui lui rendait sa petite ressuscitée, telle qu’il l’avait vue la première fois, quand elle était déjà si avancée dans la mort, puis il me demanda une plume, et écrivit au bas :

« Dieu l’a bénie et l’a sauvée. ― Samuel Hahnemann. »