Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/587

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Si quelque chose tombe des nues, comme on dit vulgairement, cela le choque ; si un fait est trop annoncé, cela l’ennuie ; nous devons, pour lui plaire, le prendre à la fois pour confident et pour dupe, c’est-à-dire laisser tomber négligemment dans un coin de la pièce, un mot révélateur, mais inaperçu, qui lui entre dans l’oreille sans qu’il y fasse attention, et qui, au moment où éclate le coup de théâtre, lui arrache cette exclamation de plaisir, ce ah !… qui veut dire : « C’est vrai, il nous l’avait annoncé ! » Que nous sommes bêtes de ne pas l’avoir deviné ! » Et les voilà enchantés. Scribe excellait dans cet artifice. Je vous engage à lire un chef-d’œuvre de lui, la Famille Riquebourg, et je vous recommande un petit verre de liqueur placé à la troisième scène. Il n’a l’air de rien du tout, ce petit verre de liqueur ; il arrive sur un plateau comme un comparse, comme un garde dans une tragédie. Or, toute la pièce est en lui, car sans lui elle n’est pas possible, sans lui elle n’a pas d’issue ; le dénouement est au fond de ce petit verre.

Enfin le point fondamental d’un plan bien fait, c’est le dénouement. L’art du dénouement dans la comédie est un art presque nouveau à quelques égards. Le public y est beaucoup plus difficile, et les auteurs y sont beaucoup plus experts. Je n’offenserai pas la mémoire de Molière, en disant qu’en général il ne dénoue pas ses pièces, il les finit. Une fois la peinture des caractères achevée, une fois le développement des passions terminé, il fait venir, on ne sait d’où, un père qui retrouve son fils, on ne sait comment ; tout le monde s’embrasse et la toile