Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/599

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place, marquant sur les planches avec de la craie l’endroit précis où tel acteur devait s’arrêter, et mêlant si habilement les diverses évolutions de ses personnages, que les mouvements les plus vifs étaient toujours de l’ordre, et que l’ordre était toujours de la grâce.

Le troisième acte fini, nous courons ensemble au Théâtre-Français, où l’on nous attendait pour une répétition. Il s’agissait de mettre en scène le second acte des Contes de la Reine de Navarre, un acte tout intime et ne comptant que quatre personnages.

Soudain, voilà un autre homme qui m’apparaît en Scribe. Autant à l’Opéra, je l’avais vu puissant à manier les masses et à traduire par la figuration les plus violentes passions populaires, autant je le vois, à la Comédie-Française, plein de finesse et de nuances dans l’interprétation des sentiments délicats. Avant son arrivée, la scène semblait aux artistes eux-mêmes, un peu languissante, un peu froide. Il vient, et en quelques instants, sans ajouter un mot, il parsème le dialogue de gestes si vrais, de poses si expressives, de temps d’arrêt si ingénieux, il se sert si adroitement des meubles et des chaises, comme d’autant d’accidents de terrain, que la situation s’accentue, que l’intérêt se dessine, que les personnages prennent du relief, et que l’acte devient rapide, animé, vivant ; on eût dit un coup de baguette de magicien.

Ce n’est pas tout. La mise en scène était pour lui une sorte de révélation ; à la lueur de ce sombre petit quinquet des répétitions que nous connaissons tous, il apercevait dans son œuvre ce qu’il n’y avait pas soupçonné