Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/664

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chose ailée. « Nous vous devons des droits d’auteur », disions-nous en riant à Mahérault.

S’il s’entendait si bien en théâtre, c’est qu’il aimait follement le théâtre. Il avait commencé, comme je l’ai dit, à y aller à deux ans, et il y allait encore à plus de quatre-vingts. Scribe lui avait fait donner ses petites et ses grandes entrées partout ; on le voyait partout : opéras, comédies, vaudevilles, mélodrames, représentations, répétitions, il ne laissait rien échapper. Il arrivait toujours au lever du rideau. Chez lui, les jours de théâtre, le dîner était servi plus tôt, tant il craignait de manquer une scène.

Un jour, à la répétition d’une pièce de son gendre, M. de Najac, ― il avait alors quatre-vingt-deux ans, ― il enjamba un banc si lestement que M. Saint-Germain, qui a autant d’esprit en causant qu’en jouant, dit à l’auteur : « Je viens de voir votre gamin de beau-père qui sautait du parterre dans l’orchestre ». A la fin de sa vie, son docteur lui défendant quelquefois les sorties du soir, son gendre était tenu, à chaque première représentation, d’entrer dans sa chambre après le spectacle, fût-il minuit, et de lui donner le détail de la soirée ; il ne pouvait pas attendre au lendemain.

Ce qui le maintint ainsi jeune de corps comme d’esprit jusque dans la vieillesse, ce n’était pas certes la vigueur corporelle, il avait juste assez de substance musculaire pour qu’elle le portât sans qu’il eût peine à la porter ; ce fut une seconde passion, qui ne fit souvent qu’une avec la première, une passion ardente et saine comme la chasse, la passion du collectionneur.