Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/675

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travers champs et bois. Vous savez parler aux paysans comme aux gens du monde. Pourquoi ? Parce que vous êtes un homme de sympathie. Je suis plus républicain que vous, mais vous êtes plus démocrate que moi. Il s’agit d’apprivoiser notre pays à la République. Il nous faut des hommes comme vous. D’ailleurs, il n’y a plus à reculer. Si j’avais tiré sur vous un billet à ordre, le payeriez-vous ? ― Sans doute ! ― Alors payez, car j’ai signé. Je vous ai promis à Ledru-Rollin, il vous attend. ― Je ne puis rien vous refuser, répondis-je avec émotion, mais je ne vous donnerai jamais une plus grande preuve d’amitié. » Me voilà chez Ledru-Rollin. Accueil charmant, à bras ouvert. « La République vous remercie. Quel département voulez-vous ? ― Je crois, répondis-je, que si je peux être utile quelque part, c’est dans le Loir-et-Cher. ― Le Gouvernement se réunit ce soir. Je vous propose, on vous accepte ; et demain matin, je vous donnerai vos dernières instructions. »

Le lendemain, à dix heures, j’entrais au ministère. « M. Ledru-Rollin ? ― M. le Ministre est absent, me répond l’huissier d’un air qui me parut singulier, mais son secrétaire, M. Élias Regnault, attend Monsieur. » Je connaissais beaucoup Élias Regnault. A ma vue, il prend une figure de condoléance, et me prie de m’asseoir. « Qu’y-a-t-il donc, mon cher Élias, lui dis-je, vous paraissez contrarié ? ― Plus que contrarié, désolé, et le Ministre aussi. ― Pourquoi ? repris-je vivement, est-ce que ma nomination… ― Vous n’êtes pas nommé. ― Hein ? ― Le Ministre a fait hier tous ses efforts au Conseil, mais M. de Lamartine a proposé un autre candidat,