Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/710

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qu’ils ne l’étaient, l’étant peut-être pour un moment, tant on subissait en sa présence la contagion du bien. Mais, une fois le voile tombé, le naturel revenu, j’ai vu aussi ces faux honnêtes gens démasqués, pâlir devant ce clair regard. Leur défection avait porté ses fruits cependant : ils avaient reçu le prix de l’abandon de leurs principes, en puissance, en honneurs, en richesses ; et lui, il n’était rien. Mais le rencontrer tout à coup dans une réunion, dans une loge de théâtre, aller à lui la main tendue, et le voir retirer froidement la sienne en les regardant en silence ; cela suffisait pour faire tomber ces transfuges du haut de leur grandeur vilainement acquise, et pour incliner leurs fronts jusqu’à terre. Cet homme était si juste qu’il était naturellement justicier.

Son influence s’étendait jusque sur des vieillards, sur des hommes de génie ; il m’en revient en pensée une preuve touchante. Il avait été l’élève et était devenu l’ami de l’illustre Geoffroy-Saint-Hilaire le père ; j’ajoute le père, car le mot illustre ne suffirait pas à le faire distinguer de son fils.

M. Geoffroy, arrivé à la vieillesse, mais plein encore de son ardeur créatrice, voulut porter ses recherches sur une branche des sciences nouvelle pour lui, sur les sciences physiques. L’âge lui conseillait la modération dans le travail, sa santé affaiblie la lui ordonnait, il n’en tint compte ; et sa digne compagne voyait avec douleur s’allumer chaque nuit au chevet du vieillard, la lampe de travail qui éclairait jusqu’au matin ce front pâle et penché. L’inquiétude devint grande dans