Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/723

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il fit voiler cette figure, comme pour exprimer que son combat à lui était fini. Quoique ses idées sur la personne du Christ ne fussent pas celles de l’Église catholique, il avait toujours au pied de son lit un grand crucifix. Au milieu de ses plus terribles crises, on le vit étendre ses bras en croix sur son lit de torture, comme pour prendre exemple sur le divin martyr. Une nuit on l’entendit murmurer tout bas : « Mon Dieu ! ayez pitié de votre pauvre serviteur ! »

Le lendemain, toujours dans la nuit, la sœur de charité qui le veillait s’approcha de son chevet et lui dit : « Monsieur, il faut vous préparer à la mort. ― Je m’y prépare depuis quarante ans, ma sœur, » répondit-il avec calme.

Vingt-trois ans se sont écoulés depuis ce jour-là, et depuis vingt-trois ans la femme qu’il a tant aimée n’a eu qu’une idée, qu’un objet, le culte de cette grande mémoire. Elle lui a élevé trois monuments : un de pierre et de marbre, celui de Chapu ; un second, d’esprit et de pensée, l’édition complète de ses œuvres ; un troisième, fondé sur l’admiration et la reconnaissance publiques : le prix Jean Reynaud. Chaque année, un prix de dix mille francs, donné tour à tour par chacune des classes de l’Institut, associe la mémoire de Jean Reynaud à l’œuvre la plus éclatante qui se produit dans la science, dans les arts, dans la morale, dans l’érudition, dans les lettres. M. Pasteur fut le dernier lauréat de ce concours.

L’Institut est encore debout pour longtemps, j’espère ; tant qu’il vivra, le nom de Reynaud vivra aussi. A qui le devra-t-il ? à celle à qui il a donné ce nom.