Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/757

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ému de tant de justesse, de simplicité : « Et cependant, repris-je avec conviction, et cependant pas un seul poète français n’a été plus richement doué que vous ! Vous avez autant de génie que les plus grands. ― C’est possible, me dit-il en souriant, mais je n’ai pas autant de talent ; le talent, mon cher, c’est-à-dire ce qui s’acquiert par le travail et la volonté. Je n’ai jamais travaillé et je ne sais pas corriger. Quand j’ai essayé de refaire quelques vers, je les ai faits plus mauvais. Comparez-moi donc à Victor Hugo comme versificateur : je ne suis qu’un écolier auprès de lui. ― Vous ressemblez bien plus, repris-je, à cet autre enfant gâté de la muse qui, comme vous, n’a jamais connu ni l’effort ni la lutte, et qui laissait tomber ses notes, comme vous vos vers, à Rossini. ― Oh ! ne m’égalez pas à Rossini, reprit-il vivement, Rossini a fait des œuvres, lui ! Il a écrit le Barbier, Othello, Guillaume Tell ; moi je n’ai fait que des essais. Après tout je ne suis qu’un amateur très distingué. » Il ne le pensait pas absolument. Il comptait peut-être sur mon ardeur à me récrier ; et je l’aurais étonné si j’avais pris sa définition au pied de la lettre ; et pourtant, sous cette exagération de termes, je dirais volontiers sous ce blasphème, se cachait un sentiment vrai et sincère ; il se rendait compte qu’il n’avait pas, selon la belle expression du cardinal de Retz, qu’il n’avait pas rempli tout son mérite. On a souvent voulu voir dans le dédain avec lequel il parlait de ses vers, une affectation, une comédie. Jamais homme ne fut moins comédien que Lamartine. Diplomate ? oui. Adroit et adroit jusqu’à la maladresse ? oui. Mais ce qu’on nomme