Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/778

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de le peindre. « J’ai eu, disait-il, dans ma jeunesse, la passion du jeu ; mais une nuit, à Naples, je découvris un moyen infaillible de faire sauter la banque : dès lors, impossible de jouer ; j’étais sûr de gagner. » Voilà un joueur comme on n’en rencontre pas beaucoup.

On a souvent remarqué que Dieu lui avait tout donné en partage, la beauté, la noblesse, le courage, le génie ; mais il avait reçu quelque chose de plus rare encore que tous ces dons : c’était la faculté de s’en servir à volonté. Ils étaient toujours à sa disposition. A chaque heure qu’on s’adressât à lui, il était toujours prêt à parler, à écrire ou à agir. Un grand danger le saisissait-il en pleine nuit, en plein sommeil ? Pas un cri de surprise ! Pas une seconde d’effarement ! Il se mettait à être héroïque, tout de suite, en se levant ; son courage s’éveillait en même temps que lui. De même pour son génie de poète. Sa sœur lui présente un jour une jeune fille qui désirait quelques lignes de lui sur son album. Lamartine prend une plume, et sans se donner un moment pour réfléchir, sans s’arrêter une seconde, il écrit :

 
Le livre de la vie est le livre suprême
Qu’on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix ;
Le passage attachant ne s’y lit pas deux fois ;
Mais le feuillet fatal se tourne de lui-même ;
On voudrait revenir à la page où l’on aime,
Et la page où l’on meurt est déjà sous nos doigts.


Puis, ces vers terminés, il les tend d’une main nonchalante à sa sœur qui les lit, et, stupéfaite de leur