Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/784

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éphémères, avec qui la gloire n’a rien à faire, et dont la réputation n’est qu’un caprice de la mode. » Arrivé à Lamartine, son langage changea absolument. Ses paroles étaient sérieuses et empreintes d’un véritable sentiment de sympathie et d’admiration. Je l’écoutais, je le laissais dire, attendant le dernier mot, le Post scriptum. Enfin, après des phrases très louangeuses, il conclut par ces paroles que je cite textuellement : C’est un Racine réussi.

Je ne pus retenir un geste de surprise, ce que voyant, il ajoute, comme pour expliquer sa pensée : « Voici ce que je veux dire : La Révolution française a coupé l’histoire de France en deux. Avec 89 ou 91, si vous l’aimez mieux, l’ancien monde finit, et le monde nouveau commence. Eh bien, Lamartine est l’expression la plus complète du monde ancien, c’est le poète du passé. » Il s’arrêta, mais cette fois, je me tus, j’avais compris. J’achevai même sa phrase en dedans. Cette fin de phrase était : Je suis, moi, le seul poète du monde moderne.

Avait-il raison ?

Je ne le crois pas. Victor Hugo est, selon moi, la plus puissante imagination poétique de toute notre littérature, et personne ne représente avec autant d’éclat que lui, le grand mouvement lyrique qui est une des gloires du XIXè siècle ; mais il ne le représente pas seul. Lamartine l’a inauguré avant lui ; Lamartine est tout plein du souffle de l’esprit moderne, comme lui, et j’ajoute que si l’on veut caractériser ce mouvement, leurs deux noms en appellent un troisième, celui d’Alfred de Musset.