Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/81

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« C’est cela même, il fit rentrer son centre pour envelopper les Romains de gauche et de droite ; je regrette que vous n’ayez pas expliqué que ce reploiement s’opéra par la cavalerie. ― Je présume, lui répondit l’auteur, l’avoir exprimé autant que la concision poétique me le permettait, en usant de ces mots, dans ses bras, pour figurer le mouvement des ailes de son armée. ― En ce cas, cette figure est parfaite et, de plus, elle est courte et juste. Je n’ai pas de goût pour les descriptions en tirades. »

 
Il était temps enfin qu’un jeune homme invincible
Fit tomber à Zama ce cyclope terrible.


« Vous parlez de Scipion, qui a vaincu ce fameux borgne ? Lui qu’on nomma l’Africain ; comme moi l’Italique… » Et il sourit en ajoutant « Oh ! je ne m’en tiendrai pas là… ― Je le pressens, lui répondit Lemercier ; on veut déjà vous donner le titre de Britannique ; mais prenez-y garde. » Nous nous regardâmes en silence très fixement, écrit M. Lemercier. Lui tout à coup, m’interpellant d’un ton grave : « Qui de ces grands hommes vous paraît le plus grand dans l’antiquité ? ― Annibal. ― Je suis du même avis. Il vous a fallu les contre-peser avec soin pour écrire un tel ouvrage ; mais je pensais que vous m’alliez désigner César… César, c’est le héros des poètes. ― Ce n’est pas, selon moi, le premier des guerriers ; je lui préfère… ― Eh ! qui donc ?… Brutus, peut-être ? le héros des démocrates… Est-ce que vous en êtes ? ― Non, Brutus le jeune, ni Jules César ne sont mes