Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/82

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héros ; je ne les aurais aimés ni l’un ni l’autre parce que j’ai aversion des tyrans et des assassins. ― Ah ! ce sont deux très bonnes raisons, » me répondit-il en me caressant de l’œil et en se colorant un peu ; puis il reprit avec vivacité et du ton le plus affirmatif et le plus véhément : « Vous avez bien jugé militairement, vous qui n’êtes pas du métier, Annibal ; Annibal est le plus grand capitaine du monde ! Votre morceau sur lui est magnifique !… Mais en quoi, par quoi, vous a-t-il paru le plus remarquable, à vous ? ― Parce que, abandonné, trahi de Carthage qu’il servait, il s’est maintenu toujours en pays ennemi par ses propres ressources, et qu’il sut se faire des troupes nouvelles de tous les peuples étrangers qu’il rencontra sur son passage. Une note de ce poème vous prouvera que je n’ai même pas adopté l’opinion qui lui reprocha les délices de Capoue. ― Je l’avais remarqué, et je vous approuve. Les bavards d’historiens décident trop à leur aise de nos affaires dans leur cabinet. »

Arrêtons-nous pour remarquer que M. Lemercier a été le seul de son temps qui ait placé Annibal à ce haut rang. Les délices de Capoue étaient devenues un lieu commun, un proverbe. Bonaparte, continuant la lecture, s’arrêta à Henri IV, sur lequel il dit : « Ce pauvre Henri IV !En voilà un qui a bien remué aussi son misérable corps !Brave prince !les jésuites l’ont fait tuer. »

Passant ensuite à Frédéric II : « Ce Frédéric, c’est Voltaire et les encyclopédistes qui l’ont grandi, parce qu’il les avait favorisés. ― Non, à ce qu’il me semble,