Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/90

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Mon père laissait une correspondance et des papiers qui eussent été pour moi du plus haut intérêt ; ils furent vendus dans la cour de la maison, au poids. Enfin, le résultat final de cette gestion, plus que malhabile, se traduisit par un déficit, qui fit tomber mon patrimoine à sept mille livres de rentes. Quelques années plus tard, cet homme d’affaires étant mort, mes parents pensèrent, pour le remplacer, à un viel ami de mon père, qui avait la double réputation d’un homme de bien et d’un homme de talent. L’idée était excellente ; mais on craignait fort qu’il ne refusât. Il accepta, n’y mettant qu’une seule condition, c’est que cette ennuyeuse besogne ne lui rapporterait que la peine de la faire. Huit ans après, le 15 février 1828, c’était le jour de ma majorité, appelé par lui, j’entrai dans son cabinet ; il voulait me rendre ses comptes. Il alla prendre, dans un casier, deux cartons verts ; il en tire huit cahiers, recouverts en papier gris-bleu, attachés soigneusement par une ficelle rouge : chaque cahier contenait une année de sa gestion. Il me les fit lire l’un après l’autre, page à page, me montra l’emploi de chaque trimestre, les économies qu’il avait réalisées, les placements qu’il avait faits, les baux qu’il avait renouvelés, les changements de valeurs qu’il avait opérés ; et toutes ces additions réunies se soldaient en un total définitif de vingt et un mille livres de rente. Mon patrimoine avait triplé. Les larmes me jaillirent des yeux. Oh ! ce qui m’émeut ainsi, je puis le dire en toute sincérité, ce ne fut pas cet accroissement inespéré de fortune, tout agréable qu’il me parût, ce