Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à Mirabeau le titre d’ami du peuple. Il s’élança à la tribune : « Ah ! Mirabeau n’est pas l’ami du peuple ! » s’écria-t-il ; et il commença à énumérer un à un, fait par fait, chapitre par chapitre, pour ainsi dire, tous les services qu’il avait rendus à l’État, faisant précéder chaque période de la phrase accusatrice qui partait de ses lèvres avec le sifflement d’une flèche ! Puis, tout à coup, s’interrompant… « Eh bien, l’on a raison ! dit-il d’une voix tonnante ! Non, Mirabeau n’est pas l’ami du peuple !… » Et alors, avec un geste d’une familiarité saisissante, il ouvre son gilet, il ouvre le jabot de sa chemise, et, frappant sur sa poitrine nue et velue… « Non ! s’écria-t-il, Mirabeau n’est pas l’ami du peuple, car il est le peuple lui-même !… » Quand M. Bouilly me racontait cette scène, ses lèvres tremblaient, ses joues frémissaient, ses yeux ruisselaient. Tout l’enthousiasme un peu déclamatoire, mais sincère, de cette époque, revivait en lui !


II

Sedaine fut son parrain dramatique. C’est de lui qu’il tenait cet art de la composition, de la préparation et de la progression, qui constitue une pièce bien charpentée. On se moque beaucoup aujourd’hui des charpentiers dramatiques ; on les appelle des carcassiers. Carcassiers, soit ! il me semble que le corps humain ne