Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/94

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se trouve pas trop mal d’avoir une carcasse, et que les architectes n’ont pas absolument tort de n’élever une maison qu’après en avoir fait le plan. Racine disant : Quand mon plan est fait, ma pièce est faite ; il comptait ses beaux vers pour rien, peut-être bien parce qu’il était sûr de les faire beaux, mais certainement aussi, parce qu’il savait que la beauté de son plan serait pour quelque chose dans la beauté de ses vers. Au théâtre, quand une situation est spirituelle, les mots les plus simples diviennent des mots d’esprit. M. Bouilly, grâce à ce talent de composition, fut applaudi à la fois sur les trois premières scènes de Paris : à la Comédie-Française, à l’Opéra Comique et au Vaudeville : L’Abbé de l’Épée compte, dans les annales du théâtre, comme un des triomphes dramatiques de l’époque. Gœthe écrit textuellement dans ses mémoires : « Je viens de lire un opéra-comique, intitulé Les deux Journées, et signé d’un M. Bouilly, qui me semble une des pièces françaises les plus intéressantes et les mieux conduites que je connaisse. » J’ai souvent entendu répéter à Scribe que le renouvellement du vaudeville datait de Fanchon la vielleuse et de Haine aux femmes, de M. Bouilly. Enfin, de son temps, on disait de lui, dans le style de son temps : « Bouilly marche au temple de Mémoire, l’épée au côté, et il ne lui faut que deux journées pour y arriver. » Malheureusement, s’il n’y a rien de si brillant que les succès de théâtre, rien non plus n’est si éphémère. L’œuvre du vieux charpentier dramatique n’est pourtant pas encore tout à fait morte. J’en ai eu une preuve frappante. Il y a une quinzaine d’années,