Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/35

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n’est autre chose que le mouvement. Et toutes les fois qu’on trouve quelque qualité dans un sujet, on doit croire que, si on entendait la nature de ce sujet et de cette qualité, on concevrait comment cette qualité en peut résulter. Ainsi, dans l’ordre de la nature (les miracles mis à part), il n’est pas arbitraire à Dieu de donner indifféremment aux substances telles ou telles qualités, et il ne leur en donnera jamais que celles qui leur seront naturelles, c’est-à-dire qui pourront être dérivées de leur nature comme des modifications explicables. Ainsi on peut juger que la matière n’aura pas naturellement l’attraction mentionnée ci-dessus, et n’ira pas d’elle-même en ligne courbe, parce qu’il n’est pas possible de concevoir comment cela s’y fait, c’est-à-dire de l’expliquer mécaniquement, au lieu que ce qui est naturel doit pouvoir devenir concevable distinctement si l’on était admis dans les secrets des choses. Cette distinction entre ce qui est naturel et explicable et ce qui est inexplicable et miraculeux lève toutes les difficultés : et en la rejetant, on soutiendrait quelque chose de pis que les qualités occultes et on renoncerait en cela à la philosophie et à la raison, en ouvrant des asiles à l’ignorance et à la paresse, par un système sourd qui admet non seulement qu’il y a des qualités que nous n’entendons pas, dont il n’y en a que trop, mais aussi qu’il y en a que le plus grand esprit, si Dieu lui donnait toute l’ouverture possible, ne pourrait pas comprendre, c’est-à-dire qui seraient ou miraculeuses ou sans rime et sans raison ; et cela même serait sans rime et sans raison que Dieu fît des miracles ordinairement, de sorte que cette hypothèse fainéante détruirait également notre philosophie, qui cherche des raisons, et la divine sagesse, qui les fournit.

Pour ce qui est maintenant de la Pensée, il est sûr, et l’auteur le reconnaît plus d’une fois, qu’elle ne saurait être une modification intelligible de la matière, c’est-à-dire que l’être sentant ou pensant n’est pas une chose machinale comme une montre ou comme un moulin, en sorte qu’on pourrait concevoir des grandeurs, figures et mouvements dont la conjonction machinale pût produire quelque chose de pensant et même de sentant dans une masse où il n’y eut rien de tel, qui cesserait aussi de même par le dérèglement de cette machine. Ce n’est donc pas une chose naturelle à la matière de sentir et de penser, et cela ne peut arriver chez elle que de deux façons, dont l’une sera que Dieu y joigne une substance, à qui il soit naturel de penser, et l’autre que Dieu y mette la pensée par miracle. En cela donc je suis entièrement du sentiment des