Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/56

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de l’induction pour l’examiner ; comme fit un célèbre écrivain à Paris, quand j’y étais, qui poussa assez loin l’essai de mon tétragonisme arithmétique, en le comparant avec les nombres de Ludolphe, croyant y trouver quelque faute : et il eut raison de douter jusqu’à ce qu’on lui en communiquât la démonstration, qui nous dispense de ces essais, qu’on pourrait toujours continuer sans être jamais parfaitement certain. Et c’est cela même, savoir l’imperfection des inductions, qu’on peut encore vérifier par les instances de l’expérience. Car il y a des progressions où l’on peut aller fort loin avant que de remarquer les changements et les lois qui s’y trouvent.

Philalèthe. Mais ne se peut-il point que non seulement les termes ou paroles dont on se sert, mais encore les idées, nous viennent de dehors ?

Théophile. Il faudrait donc que nous fussions nous-mêmes hors de nous, car les idées intellectuelles ou de réflexion sont tirées de notre esprit. Et je voudrais bien savoir comment nous pourrions avoir l’idée de l’être, si nous n’étions des êtres nous-mêmes, et ne trouvions ainsi l’être en nous.

Philalèthe. Mais que dites-vous, Monsieur, à ce défi d’un de mes amis ? Si quelqu’un, dit-il, peut trouver une proposition dont les idées soient innées, qu’il me la nomme, il ne saurait me faire un plus grand plaisir.

Théophile. Je lui nommerais les propositions d’arithmétique et de géométrie, qui sont toutes de cette nature, et en matière des vérités nécessaires, on n’en saurait trouver d’autres.

§ 25. Philalèthe. Cela paraîtra étrange à bien des gens. Peut-on dire que les sciences les plus difficiles et les plus profondes sont innées ?

Théophile. Leur connaissance actuelle ne l’est point, mais bien ce qu’on peut appeler la connaissance virtuelle, comme la figure tracée par les veines du marbre est dans le marbre, avant qu’on les découvre en travaillant.

Philalèthe. Mais est-il possible que des enfants recevant des notions qui leur viennent au dehors, et y donnant leur consentement, n’aient aucune connaissance de celles qu’on suppose être innées avec eux et faire comme partie de leur esprit, où elles sont, dit-on, empreintes en caractères ineffaçables, pour servir de fondement ? Si cela était, la nature se serait donné de la peine inutilement, ou du moins elle aurait mal gravé ces caractères, puisqu’ils ne sauraient