Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/145

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heures mêmes où son héros déploie le plus de volonté, il subit encore des impulsions irrésistibles et cachées et reste passif en pleine action ? Mais, si ce point demeure obscur, ce qui ne l’est pas, ce sont les sentiments de Marc sur le monde et sur la vie. Voici de ses réflexions, au hasard :

… Je serai toujours un mauvais magistrat. Cette idée que des hommes peuvent juger des hommes, non pas seulement au point de vue utilitaire, mais au nom de la vérité, de la conscience universelle, de l’absolu, me paraît de plus en plus baroque et monstrueuse.

… La Providence est une divinité maladroite, qui ne fait rien pour raffermir son culte toujours chancelant, mal assis dans le cœur de l’homme ; elle vous reprend d’une main (elle doit avoir des mains puisqu’on lui prête un doigt) ce qu’elle vous a donné de l’autre, de sorte que l’observateur attentif finit par s’apercevoir qu’il n’y a rien, dans ces alternatives de générosité et de rigueur, qui différencie clairement son action de celle du hasard au passe dix ou à la roulette.

… Je m’incline donc une fois encore devant la suprême inconscience, devant la toute-puissante déraison qui semble gouverner les choses humaines… Je me résigne ; mais cette résignation me dégrade et m’abrutit : je la maudis.

Il y a donc dans ces romans mondains (ne vous y trompez point) la même philosophie à peu près que dans les Rougon-Macquart. Au fait, le fond des choses est le même dans les salons que dans les assommoirs. Mais ce qui distingue M. Rabusson, ce qui le sépare autant de M. Paul Bourget que de M. Émile Zola, ce