Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/154

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qu’ils ont gardé de rude et de primitif, pour la poussée, plus forte chez eux, des antiques instincts, et parce qu’ils font partie de la campagne et sont en parfaite harmonie avec elle. Même on ne trouve jamais les paysans assez paysans. On peint de préférence les plus bruts, les plus intacts ; on a des tendresses pour les « innocents » et les idiots, parce qu’ils représentent l’humanité presque toute neuve et toute fruste, et telle à peu près qu’elle dut sortir de l’âge du bronze. Là encore, dans ces préférences singulières, l’influence des découvertes ou des spéculations scientifiques est aisée à saisir et aussi ce goût de la réalité qui domine depuis trente ans dans la littérature. Comme nous regardons de plus près, nous voyons mieux l’inépuisable et divertissante variété des choses. Nos artistes ne décrivent plus, comme on l’a fait, la campagne ni le paysan en général, mais des paysans et des pays particuliers, souvent très différents les uns des autres, et avec leur caractère, leur esprit, leurs mœurs, leurs usages. Les romanciers se sont partagé la France, chacun nous peignant sa province natale ou celle qu’il connaissait le mieux ; et l’on pourrait former, en réunissant leurs tableaux, une sorte de géographie pittoresque et morale de la patrie française. Rappelez-vous le Berry de George Sand, la Touraine de Balzac, l’Alsace d’Erckmann-Chatrian, la Normandie de Flaubert et de Maupassant, la Provence de Paul Arène et d’Alphonse Daudet, la Lorraine d’André Theuriet, les Cévennes de Ferdinand Fabre,