Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/260

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j’ignorais leurs noms, et je croyais leurs livres composés par des hommes, je les admirerais davantage. Cela est parfaitement déraisonnable ; mais cela est ainsi. Ce qu’il y a de masculin dans leur génie me blesse comme une atteinte aux droits de mon sexe, et surtout me chagrine comme une faute de goût du Créateur. Je les croyais faites, étant femmes, pour plaire et pour être aimées, et, cette destination étant la plus belle de toutes, je voulais qu’elles s’en souvinssent, même en écrivant. Mais si je suis obligé d’admirer la force et la gravité de leur pensée, quel désordre ! et comme elles y perdent ! Je préfère les billets d’Aspasie aux dissertations de Diotime ; car ce que dit Diotime, Platon l’aurait dit tout aussi bien ; mais il eût été incapable d’écrire les billets d’Aspasie.

Mais vous, je vous salue et vous aime par-dessus toutes vos compagnes, sans réserve ni mauvaise humeur, ô George Sand, jardin d’imagination fleurie, fleuve de charité, miroir d’amour, lyre tendue aux souffles de la nature et de l’esprit ! Car vous avez été candide et bonne et, quoi qu’on ait dit, vraiment femme. Si vous avez peu pensé par vous-même, c’est bien par vous-même que vous ayez senti. Vous êtes restée jusqu’au bout la petite fille qui, dans les traînes du Berry, inventait de belles histoires pour amuser les petits pâtres… On assure que vous avez vécu fort librement : c’est que vous ne pouviez ni vous garder de la passion ni vous y tenir, votre pente étant surtout à la pitié et à la charité maternelle, qui est la vraie