Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et après tout ceci, qui n’est qu’un jeu d’antithèses, éclate un vers qui est enfin autre chose qu’un cliquetis de mots, un vers ému et tragique — (comme si le poète, à force de remuer les vocables, d’épuiser toutes les façons de traduire une pensée, devait nécessairement trouver, à un moment, l’expression la plus forte et la plus émouvante, et comme si sa prodigieuse invention verbale devait fatalement rencontrer la profondeur) :

 Comme il pleure avec rage au secours des souffrants !

Lisez cette page (en vous souvenant qu’il en a écrit des milliers de semblables), vous en demeurerez, je l’espère, stupides comme moi. Car, sans doute, si nous avions senti le besoin d’apprendre au monde que Marat fut fait de charité et de cruauté, nous aurions pu, en prenant notre temps, trouver cinq ou six images pour le dire ; mais lui ! ses trente-cinq images se dressent presque en même temps dans sa pensée : elles sautent d’elles-mêmes sur les mots qu’il leur faut, sur les mots dont son cerveau est l’ample ménagerie, et les chevauchent éperdument ; et c’est un flot rapide et intarissable, un torrent auquel rien ne résiste…

Et les trente-cinq images sur Marat ne lui suffisent pas. Après que la dernière a pris sa course, il lui en vient encore une douzaine à propos des bons camarades de Marat ; et il les lâche pour se soulager. Seu-