Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/183

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gigantesque dictionnaire biographique et moral, où chaque individu notable, chaque groupe local, chaque classe professionnelle ou sociale, et même chaque peuple a sa fiche. À ces facultés si grandes, ajoutez-en une autre, la plus forte de toutes : l’imagination constructive. On connaît ses rêves de conquête orientale, de domination universelle et d’organisation du monde selon sa volonté. Il crée dans l’idéal et l’impossible. C’est un frère posthume de Dante et de Michel-Ange. Il est leur pareil et leur égal ; il est un des trois esprits souverains de la Renaissance italienne. Seulement, les deux premiers opéraient sur le papier ou le marbre ; c’est sur l’homme vivant, sur la chair sensible et souffrante que celui-ci a travaillé.

Comme par l’esprit, il ressemble par le caractère à ses grands ancêtres italiens. Il a des émotions plus vives et plus profondes, des désirs plus véhéments et plus effrénés, des volontés plus impétueuses et plus tenaces que les nôtres.

La force, qui chez lui coordonne, dirige et maîtrise des passions si vives, c’est un instinct d’une profondeur et d’une âpreté extraordinaires, l’instinct de se faire centre et de rapporter tout à soi, un égoïsme prodigieusement actif et envahissant, développé par les leçons que lui donnent la vie sociale en Corse, puis l’anarchie française pendant la Révolution. Son ambition est sans limite et, par suite, son despotisme est sans détente : « Je suis à part de tout