Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Car voici éclater le génie particulier de M. Émile Zola, le don de la vision concrète et démesurée, le don de l’outrance expressive et l’abominable tristesse en face des choses. Tout se matérialise et s’exagère. Claude Lantier n’est pas seulement un artiste incomplet : c’est un malade, et qui a tout l’air d’un imbécile. Son impuissance est surtout physique. « Il s’énervait, ne voyait plus, n’exécutait plus, en arrivait à une véritable paralysie de la volonté. Étaient-ce donc ses yeux, étaient-ce ses mains qui cessaient de lui appartenir, dans le progrès des lésions anciennes qui l’avait inquiété déjà ? » Au reste, presque tous les artistes et les littérateurs ont, dans ce livre, des attitudes tordues ou écrasées d’athlètes, de cariatides, de damnés de Michel-Ange. L’effort de la production devient une espèce de lutte à main plate, le combat de Jacob avec l’Ange dans une foire de banlieue. C’est un « caleçon » que l’Idéal propose à ces hercules et qu’ils ramassent en faisant des effets de muscles. — Claude Lantier n’est pas seulement un artiste contesté et poursuivi par la malchance : c’est un martyr. Manet, Monet et Pissarro sont des heureux et des vainqueurs à côté de lui. Il n’a pas même un jour de consolation, d’espoir, de demi-réussite. M. Zola l’écrase sous une impuissance absolue et sous un malheur absolu. — Et Claude Lantier n’est pas seulement un artiste amoureux de son art : c’est un possédé de la peinture, un fou, un démoniaque en qui la passion unique a étouffé tout