Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/111

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les traiter doucement et, sinon les honorer, du moins les absoudre.

Mais, au fait, pourquoi ne pas les honorer ? Je crois vraiment que quelques-uns des événements les plus heureux de notre littérature, et par exemple l’épuration et l’affinement de la langue dans la première moitié du dix-septième siècle, l’entrée des sciences politiques et naturelles dans le domaine littéraire au dix-huitième, le mouvement sentimental et naturiste provoqué par Jean-Jacques, et l’évolution romantique suivie de l’évolution réaliste qu’a suivie la réaction idéaliste, un peu trouble, à laquelle nous assistons, ne se seraient point accomplis aussi vite sans les snobs. Puisque, forcément, les esprits médiocres sont toujours en majorité, il faut bien que ce soient des esprits médiocres, mais inquiets et préoccupés de nouveauté, qui assurent la victoire des innovations viables. Ce qu’on appelle les bons esprits, c’est-à-dire ceux qui sont à la fois dociles et modestes, seraient plutôt capables de retarder cette victoire.

Les bons esprits se méfient ; ils sont tentés de croire que « tout a été dit depuis qu’il y a des hommes et qui pensent. » Ils ont la manie de reconnaître des choses très anciennes dans ce qu’on leur présente comme nouveau. Pour eux, Ibsen et Tolstoï sont déjà dans George Sand ; tout le romantisme est déjà dans Corneille ; tout le réalisme dans Gil Blas ; tout le sentiment de la nature dans les poètes de la Renaissance et, par delà, dans les poètes anciens ;